En 1946, en surfant la vague de la Guerre des Mondes d’Orson Welles, Jean Nocher semait la panique chez les auditeurs radiophoniques : son « age atomique » brisait les frontières du réel et le récit bouleversant d’une catastrophe imminente réussit à faire rebondir, par le déploiement bien orchestré d’une matière fictionnelle, des milliers de gens sur leur chaise. C’est par le même mauvais présage que l’album de Teo s’ouvre à nos yeux : il est porté par des « corbeaux » et sa nature partage la même doctrine magnétique et hypnotique que ses héritiers littéraires : elle envoûte, elle déstabilise, elle est multiple car elle fait appel à ces labyrinthes instables et improvisés qui coïncident avec le spectre hétérogène des émotions humaines. De grands élans instrumentaux, où la voix s’insère presque avec discrétion, tissent un environnement imagé qui s’apparente aux grandes histoires cinématographiques. De la pause solennelle d’arpèges saturés aux breakdowns saccadés à couper le souffle, greffés à des percussions furieuses qu’un saxophone débridé coupe au couteau bien aiguisé, du free jazz qui s’empreint de teintes eschatologiques au déraillement psychédélique, du post-rock aux envols aériens du stoner, de l’explosion exogène au recueillement intime: tous les ingrédients sont réunis pour que l’expérience de Last Yawnings soit à la fois aliénée et libératrice, à l’image de notre génération.